jeudi 5 janvier 2017

La drosophile – la mouche préférée des biologistes


La drosophile est une toute petite mouche (généralement de 2 à 4 mm) très utilisée dans la recherche scientifique. L’utilisation de mouches en laboratoire peut sembler incongrue voir comique (si vous n’êtes pas trop jeune, vous vous rappelez sans doute du sketch des nuls la mouche qui pète avec Mademoiselle Hortense !) mais elle sert de modèle d’étude pour un grand nombre de chercheurs en biologie dans des domaines extrêmement variés. En fait la communauté des « drosophilistes » est très vaste :
 
Drosophila melanogaster (où Drosophila est le genre et melanogaster, l’espèce) également connue sous le nom de mouche du vinaigre est l’espèce de drosophiles la plus utilisée en laboratoire mais en réalité, il en existe plusieurs centaines d’espèces. Sauf mention contraire, je me focaliserai donc sur Drosophila melanogaster pour la suite.
 
Concrètement la droso (oui on est vachement intimes) est facile à élever, se reproduit comme une folle et présente un cycle biologique très court si on compare aux mammifères par exemple : une petite douzaine de jours pour obtenir un individu adulte prêt à se reproduire. Une petite larve (L1) sort de l’œuf environ 24h après la ponte (si il y a bien eu fécondation au préalable). Il existe 3 stades larvaires chez la drosophile (L1, L2 et L3) avec une mue entre chaque puis c’est l’empupement (transformation en pupe) et enfin la métamorphose. De la pupe émerge une mouche. Il faudra encore quelques heures à la femelle pour être capable de se reproduire.

- cycle_de_vie -
(attention tout n’est pas à la même échelle)
 
On comprend donc aisément pourquoi c’est un modèle d’étude si répandu en laboratoire. Au niveau des questions scientifiques qui peuvent être abordées, c’est très large. Historiquement, elle a été (et est toujours) beaucoup utilisée pour étudier la génétique : comprendre l’héritabilité des caractères comme la couleur des yeux (en général rouge chez la droso) ainsi que l’embryologie : comment se construit un organisme hautement organisé à partir d’un œuf fécondé, soit une seule cellule au départ ?
 
Actuellement on parle plus de biologie du développement que d’embryologie. Les études qui étaient au départ très descriptives sont maintenant étendues à des aspects beaucoup plus mécanistiques et/ou moléculaires. Les scientifiques cherchent à déterminer comment le développement est contrôlé et régulé (ils s’intéressent notament aux gènes, molécules, paramètres physiques et environnementaux, etc…). Par exemple, chez la majorité des insectes dont la droso, le corps peut être subdivisé en 3 partie, la tête, le thorax et l’abdomen chacune pouvant être à son tour subdivisée en différents segments. Par exemple sur T1 (pour premier segment thoracique), se trouve une première paire de pattes en position ventrale et sur T2 (pour second segment thoracique) sont localisés une seconde paire de patte en ventral ainsi que les ailes en dorsal. Mais qu’est-ce qui fait que T2 présente une identité de T2 et non de T1 et vice-versa? Hein pourquoi il n’y a pas d’ailes en T1 ? Eh bien dans cette histoire il est beaucoup questions de gènes et j’y reviendrai une prochaine fois.

En parlant de gènes, même si à première vue, on peut penser qu’il n’y a rien de commun entre un être humain et une mouche, il faut savoir que de nombreux gènes et mécanismes cellulaires sont conservés entre la droso et l’Homme ! La modélisation de maladies d’origine génétique affectant l’Homme est donc possible via le modèle drosophile !

 
Par exemple, l’ataxie de Friedreich (http://www.afaf.asso.fr/la-maladie/lataxie-de-friedreich/), une terrible maladie d’origine génétique se caractérise par une atteinte du système nerveux ainsi qu’une cardiomyopathie. Cette maladie est causée par une forte diminution en frataxine, une protéine normalement présente dans la mitochondrie (l’organite qui produite de l’énergie pour la cellule). Un équivalent de la frataxine humaine existe naturellement chez la droso. Nous l’appelerons Dfrataxine. Le taux de Dfrataxine peut être diminué dans le cœur de la droso par modification génétique. La droso va alors développer des défauts cardiaques proches de ceux présent chez les patients. Est-ce une reproduction de la pathologie cardiaque humaine ? Non, faut pas pousser : un cœur de droso n’est pas identique à celui d’un être humain et ne fonctionne pas pareil. Néanmoins cela constitue un très bon modèle qui peut permettre de tester des médicaments potentiels qui pourront peut-être à termes être utilisés chez les patients afin de diminuer leurs problèmes cardiaques (une cause fréquent de décès dans l’ataxie de Friedreich). L’étude complète est consultable sur le site de l’éditeur du journal Human Molecular Genetics.

Etudier les processus de vieillissement normaux et/ou pathologiques (maladies neurodégénératives par exemple) est aussi possible :


Encore un autre exemple : les mécanismes évolutifs peuvent également être abordés grâce à la droso. Pour ce faire, on va généralement étudier en parallèle des espèces de drosophiles qui sont proches du point de vue évolutif (comme Drosophila mauritiana et Drosophila simulans). L’idée est de comprendre les processus de spéciation c’est à dire comment apparaissent de nouvelles espèces au cours de l’évolution. Une façon de faire est d’étudier des mutations responsables de changements entre espèces de drosophiles tels que des changements morphologiques.
 
 
oui… c’est très sérieux ! Chez les drosophiles, les caractères morphologiques de l’appareil génital mâle comptent parmi les premiers traits à diverger entre espèces proches. Si vous ne me croyez pas, allez donc jeter un coup d’œil à la publication de 2015 dans Genetics.

Les maladies à prion – aujourd’hui on fait un atelier bracelets en élastiques


La dernière fois, on en était resté à la question suivante « qu’est-ce qui fait qu’une protéine donnée assure telle fonction ? »

- C’est sa conformation spatiale !
Trop souvent quand on dit qu’une protéine est une chaîne constituée d’acides aminés, on s’imagine un genre de collier avec des billes de différentes couleurs, chaque couleur représentant un type d’acide aminé.

 
- Alors que nan quoi! On a dit qu’on faisait des bracelets en élastiques pas des colliers de perles!

Sauf que les propriétés des différents acides aminés combinées entre elles vont faire que la chaîne va se replier d’une manière donnée et ainsi adopter une conformation en 3 dimensions bien spécifique lui permettant d’exercer sa fonction.
 
Par exemple, voici la structure d’une protéine canal en charge du transport du sucrose à travers la membrane chez certaines bactéries vue « de profil » (a) et « de face », ici présentée sous forme de trimère (complexe constitué de 3 unités) (b) avec un sucre passant à l’intérieur :

D’après Jenny Michels, Armin Geyer, Viorel Mocanu, Wolfram Welte, Alma L. Burlingame et Michael Przybylski (2002) Structure and functional characterization of the periplasmic N-terminal polypeptide domain of the sugar-specific ion channel protein (ScrY porin), Protein Science, 11(6): 1565–1574, DOI:  10.1110/ps.2760102 (article disponible à http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2373611/)

 
Notez bien qu’il ne s’agit pas d’un vulgaire tunnel dans la membrane qui va laisser rentrer/sortir tout et n’importe quoi de la cellule. Le complexe est en fait très sélectif.

Après la relation structure-fonction n’est pas toujours aussi « visuelle »…

La cellule possède toute une machinerie pour favoriser et contrôler le bon repliement des protéines.


En effet, puisque la bonne conformation d’une protéine est nécessaire pour qu’elle exerce son rôle dans ou au dehors de la cellule, on comprend bien qu’une protéine mal conformée n’exercera pas correctement/pas du tout sa fonction, voir perturbera la tâche d’autres protéines.

Des protéines (bah oui du coup) sont donc présentes dans la cellule pour aider au bon repliement des protéines.

 
Et les protéines au final mal-conformées seront éliminées.
 
Mais et les maladies à prion alors ? Et les bracelets en plastiques dans tout ça?
On a vu que la protéine prion cellulaire était une protéine normalement produite par notre organisme, et celui des vaches, et celui des moutons, et celui des chats, et celui des… bref, on va dire pour résumé que la protéine prion cellulaire est une protéine normalement produite par tous les mammifères (ainsi que beaucoup d’autres animaux).
Revenons aux analogies un poil foireuses. Symbolisons la protéine prion par un élastique avec une forme d’élastique donc.
 On a donc ici un monomère (= 1 unité) présentant une forme donnée dite « élastique normal ».

Sous cette forme plus ou moins étirée (plutôt plus que moins je vous l’accorde), l’élastique-protéine prion cellulaire va participer à différentes tâches dont:

-        celle d’emmerder nos collègues (une fonction d’une importance capitale vous en conviendrez) donc

-        celle de grouper quelques outils de dessin histoire de les trimbaler ensemble

Vous avez tous dû voir cette mode des bracelets à élastiques où l’élastique replié sur lui même est associé à d’autres élastiques eux aussi repliés pour former un bracelet. Chacun des élastiques arbore au sein du bracelet une forme alternative dite « élastique replié ». Cette forme alternative est étroitement liée à l’appartenance au bracelet/multimère (= plusieurs unités).
Sous cette forme de multimère constitué d’unités présentant une forme alternative (un bracelet, quoi), de nouvelles fonctions peuvent être exercées comme servir d’ornement de poignet (de bracelet, quoi) :
 
Des fonctions en principe exercées par le monomère en forme « élastique normal » peuvent aussi être exercées mais de façon différente. On parle alors de fonctions perverties. Si on reprend l’idée de grouper ensemble quelques outils de dessin, on va là carrément se trimbaler sa trousse ou son pot à crayons :
 
Maintenant, revenons au prion. Le prion c’est un multimère protéique dont chaque unité correspond à une protéine prion mal-repliée (= présentant une conformation alternative) et qui a la capacité de trans-conformer (= rendre mal-repliée) la protéine prion cellulaire qui passe à sa portée. C’est ainsi que le prion se propage dans l’organisme et plus particulièrement dans le cerveau. Et une fois que ça a commencé, la progression vers la mort est inexorable. Un peu comme quand le premier gamin a ramené son bracelet en plastique dans la cour de récré. La mode allait se propager à tous les autres gamins de façon irrémédiable…
Voilà j’espère que c’est plus clair comme ça.


Evidemment, vous avez surement des questions plein la tête du type « mais pourquoi la cellule ne balance pas toutes ces protéines mal-repliées au protéasome ? » ou alors « comment ces protéines mal-repliées entrainent la mort des neurones ? ». Juste quelques éléments de réponses (et soyons clairs, tout cela n’est pas très bien compris et fait toujours l’objet de recherches scientifiques à l’heure actuelle) :
-        le prion sous sa forme mal-repliée est très résistant à la dégradation,
-        il y a des arguments pour dire que de nouvelles fonctions acquises par le prion et/ou des fonctions qu’il exerce de manière anormales (fonctions perverties) peuvent avoir de manière directe ou indirecte des conséquences néfastes pour la cellule,
-        d’ailleurs on pense qu’il y a perturbation de l’activité du protéasome lors des maladies à prion et autres maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer (pour une revue – en anglais – voir Ciechanover et Kwon, 2015).

Ah, et le coup des crayons regroupés par l’élastique-protéine prion cellulaire, en vrai ça donne quoi ? Et bien en regroupant différentes protéines, la protéine prion cellulaire pourrait favoriser leurs interactions entre elles par exemple. Car oui, les protéines interagissent entre elles. Et souvent une fonction n’est pas assurée par une protéine seule mais un complexe de protéines.






mercredi 4 janvier 2017

Les maladies à prion – aujourd’hui on fait un atelier bracelets en élastiques… ah non on va commencer par parler protéines


Car oui, avant de se pencher sur les mécanismes pathologiques impliqués dans les maladies à prion, il faut déjà comprendre ce que sont les protéines. Et là, méga challenge pour expliquer ça simplement. Sachant que déjà pour beaucoup de gens, les protéines ça évoque une alimentation qui fait pousser les muscles (et les lipides y a les bons qui sont nécessaires et les mauvais qui nous bouchent les artères… Trop de simplification tue la bonne compréhension).
 
Premier réflexe aller faire un tour sur wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Protéine et là on trouve :

« Une protéine est une macromolécule biologique formée d'une ou de plusieurs chaînes polypeptidiques. Chacune de ces chaînes est constituée de résidus d'acides aminés liés entre eux par des liaisons peptidiques. On parle généralement de protéine au-delà d'une cinquantaine de résidus dans la molécule, et de peptide jusqu'à quelques dizaines de résidus. Les protéines sont codées par des gènes, qui spécifient 22 acides aminés, dits protéinogènes, qui sont incorporés directement par les ribosomes lors de la biosynthèse des protéines. »

La question est si on ne sait pas ce que sont les protéines, est-ce vraiment compréhensible ? Parce que bon soit on le sait déjà et alors on n’a pas vraiment besoin de cette définition… soit c’est pas franchement plus clair maintenant.
En vrai je suis mauvaise car la page wikipedia sur les protéines est plutôt bien faite et très complète. Après il faut bien que je vous vende cet article. Et il me reste quoi pour faire ça si je ne peux pas mettre en avant mon fantastique sens de la pédagogie ?

ah oui et je fais des petits dessins aussi... 
ouh... mes protéines on dirait des spaghettis...
 
Alors du point de vue de la cellule, c’est quoi une protéine?

Les protéines sont des constituants essentiels de la cellule : c’est l’élément majoritaire juste derrière l’eau. Elles y assurent un éventail de fonctions extrêmement large : on trouvent des protéines de structure, des enzymes (qui catalysent les réactions chimiques), des protéines de transport, etc… sachant qu’une même protéine peut avoir plusieurs fonctions. Au sein d’un organisme, les cellules regroupées au sein de tissus et d’organes se spécialisent dans des tâches données (transport de l’oxygène aux organes par les globules rouges du sang par exemple). Du coup, certaines protéines vont être spécifiques d’un type cellulaire donné (l’hémoglobine pour les globules rouges pour rester sur l’exemple précédent) tandis que d’autres protéines seront présentes dans l’ensemble des cellules du corps.

Dans la série des analogies un peu foireuses, comparons une cellule à une usine complétement robotisée. On va y trouver des protéines structurelles (les fondations du bâtiment, les briques des murs, les poutres, etc,…), des enzymes (les différentes machines qui vont assembler les pièces pour faire des produits finis), des protéines de transport (les tapis roulants qui amènent les pièces détachées en provenance de l’extérieur, qui acheminent les produits en cours d’assemblage d’un poste à l’autre et qui exportent les produits finis et les déchets générés à l’extérieur de l’usine), des protéines de signalisation et des protéines régulatrices (un système qui va permettre d’intégrer la demande pour les produits fabriqués dans l’usine, la disponibilité des matières premières, l’état des machines de l’usine, etc… et adapter en conséquence la cadence de fabrication). Sauf que la cellule est extrêmement dynamique et que ses constituants, dont les protéines, se renouvellent en continu. Si on veut rester dans l’analogie de l’usine, il faut imaginer que les murs de l’usine sont démontés et remontés régulièrement, qu’éventuellement la taille de l’usine change en fonction des besoins, que les machines d’assemblage, les tapis roulants, etc… sont eux aussi constamment recyclés et remplacés par de nouvelles machines construites au sein même de l’usine. Les cellules ou du moins certaines d’entre elles peuvent aussi avoir la capacité de se déplacer (les spermatozoïdes par exemple) et/ou de se déformer (les cellules musculaires par exemple). Là aussi ce sont des protéines qui confèrent aux cellules ces différentes propriétés. La cellule récupère également l’énergie nécessaire à son fonctionnement à partir des molécules organiques absorbées par l’organisme. Là encore, un grand panel de protéines est mis à contribution.

Bref, les protéines sont essentielles à la cellule et assurent des fonctions diverses et variées mais qu’est-ce qui fait qu’une protéine donnée assure telle fonction ?

Et là je vais faire quelque chose d’affreux, je vais vous laisser sur cette question cruciale. Et c’est inutile de m’appeler pour me dire que vous ne pouvez pas trouver de repos sans mon prochain billet, je le sais bien...     

 

A suivre : Les maladies à prion – aujourd’hui on fait (vraiment) un atelier bracelets en élastiques